1840. Le daguerréotype et le charlatan
Le journal annonce une séance pour le 22 décembre par un élève de Daguerre. Ce fut une séance ratée, les conditions techniques requises (extrêmement contraignante sur la luminosité en particulier) n’étant pas au rendez-vous. Le journal annonce le report au 29, puis fait un compte rendu (au vitriol) de la démonstration.
“(...) La merveilleuse invention de M. Daguerre a retenti dans toute l'Europe et quoiqu'elle ne soit encore que dans l'enfance et ait besoin de notables améliorations qui ne tarderont pas à y être apportées, elle est devenue déjà un nouveau titre de gloire pour le pays auquel le monde la doit.
Paris, ce centre politique et intellectuel de la France, a joui le premier des magiques effets du Daguerréotype, les provinces ont dû se contenter des récits que les journaux de la capitale leur envoyaient. Mais tandis que la chambre des députés votait une récompense nationale à l'inventeur, et que la savante parole de M. Arago dévoilait les secrets de cette nouvelle conquête de l'esprit humain, plusieurs spéculateurs de Paris ont acheté des appareils et des brochures explicatives de M. Daguerre et se sont mis en route pour les départements afin d'exploiter à leur profit la curiosité publique.
Il y a quinze jours, un de ces industriels est venu honorer de sa présence la ville d'Aix ; la séance a été pompeusement annoncée pour le 22 décembre, une des salles de l'école de droit a été désignée pour lieu de réunion, le prix du billet d'entrée, fixé à 2 francs.
Ce jour-là, le ciel était sombre, le soleil ne se montrait pas aussi celui qui s'intitulait élève de M. Daguerre se vit forcé de s'excuser auprès de la nombreuse assemblée et de renvoyer sa séance au dimanche suivant. Il n'y avait rien à dire, la raison était majeure : Josué seul a pu commander au soleil, et le commis-voyageur de la science nouvelle n'avait pas du tout l'air d'être prophète.
Le 29 du mois passé, les curieux revinrent ; un temps magnifique promettait la complète réussite de l'expérience manquée huit jours auparavant. La façade de St-Sauveur, le plus beau monument de notre cité, devait être reproduite sur la plaque et les assistants ouvraient de gros yeux à la vue des préparatifs et retenaient leur haleine pendant que les mystères du merveilleux dessin s'accomplissaient dans l'intérieur de l'appareil braqué sur la cathédrale.
Au bout d'un quart d'heure la plaque fut retirée et la mystification fut complète : le dessin ne présentait qu'une masse empâtée de lignes, dans laquelle, en y mettant beaucoup de bonne volonté, on reconnaissait une partie de la façade.
Cette fois-ci, ce n'était pas la faute du soleil, car il brillait dans toute sa force, ni la faute de l'invention, car nous avons vu la veille une jolie épreuve de Daguerréotype, exposée dans le magasin de M. Boyer fils, confiseur.
Les assistants désappointés demandèrent au maladroit prestidigitateur de leur donner au moins l'explication détaillée du procédé, mais elle a été aussi embrouillée que le dessin. Pour se tirer d'affaire et trancher la difficulté, il a offert de leur vendre la brochure de M. Daguerre au prix de 2 francs (...)
En un mot, le public d'Aix a été, comme quelqu'un l'a dit, complètement « daguerrattapé » ; et nous croyons utile d'avertir les autres villes nos voisines de se tenir en garde contre les promesses des spéculateurs qui, tout en faisant leurs propres affaires, ne peuvent que compromettre et dépopulariser la belle invention de M. Daguerre.”
(Le Mémorial d’Aix, 1840-01-04)