La révolution journalistique
“ Paris est inondé de petits journaux à cinq et à dix centimes le numéro. On ne saurait se figurer l’importance qu'ont prises ces publications à bon marché. Il se fait à notre époque un énorme gaspillage d'esprit et de talent. Jamais on n'a exigé autant de l'homme et de la matière qu'aujourd'hui. Le cerveau est chauffé aussi fort que la locomotive. Il faut que la main courre sur le papier comme le wagon sur le rail-way. Le rêve du siècle est la rapidité et le bon marché. Pour acquérir un nom maintenant, il faut travailler vite, beaucoup, sans relâche et très bien ; car le public devient de plus en plus exigeant et difficile. Que de choses charmantes, que de pages coloriées se distribuent chaque matin dans Paris, sans que Paris y prenne garde ! Que d'esprit, de poésie et d'imagination ces improvisateurs toujours prêts, que les gens qui se croient sérieux appellent des feuilletonistes, jettent avec une prodigalité insouciante à la foule affairée !
Telle est la loi de progression : à la tradition orale succède l'écriture ; à l'écriture, l’imprimerie. Le livre insuffisant désormais à la propagation des idées est remplacé par le journal. Faire paraître un volume aujourd'hui c'est être arriéré autant que le seraient ceux qui écriraient au lieu de faire imprimer.”
“Des documents statistiques, puisés à des sources officielles, me permettent de vous donner quelques détails curieux sur cette littérature à la vapeur des journaux illustrés à cinq et dix centimes.
On publie à Paris quarante journaux illustrés à bon marché, dix-neuf à cinq centimes et vingt et un à dix centimes.
Ces journaux se vendent ensemble à sept cent soixante et onze mille exemplaires par semaine ; quarante millions quatre-vingt-douze mille exemplaires par an (…)”
Suit un long calcul du prix de revient de la fabrication de ces journaux et le journaliste conclut :
“Comment couvrir ces frais si ce n'est au moyen d'un tirage énorme ! A cinquante mille exemplaires un journal illustré à cinq centimes ne gagne rien. Il couvre ses frais ; au-dessous il perd , au-dessus il gagne. Un journal illustré vendu à cent mille exemplaires rapporte cent mille francs par an. ”
A titre d’information, la ville de Paris compte environ 1,5 million d’habitants en 1860, et environ 27000 habitants pour Aix-en-Provence.
(Le Mémorial d’Aix 1860-07-01)