« Le Mémorial d’Aix – 1837-1870 »
« Le Mémorial d’Aix » est fondé en 1837 par le libraire-imprimeur Dominique Aubin. Son dernier numéro sort en 1944 par décision administrative du gouvernement provisoire. Après la Seconde guerre mondiale, les titres « Terre de Provence » et « Le Courrier d'Aix » assurent la relève.
Dans la période considérée, c’est un hebdomadaire de 4 pages, de format 62 X 46 cm, comportant 3 puis 4 colonnes. C’est un document en noir et blanc, où les articles sont entassés les uns à la suite des autres, quasiment sans titre et totalement dépourvu d’images, sauf sur la page des annonces publicitaires. La Bibliothèque Méjanes en propose une version numérisée sur Internet.
A ses débuts, « Le Mémorial d’Aix » est imprimé à 300 exemplaires, mais le nombre de ses lecteurs est supérieur au nombre des abonnés (parmi lesquels on ne compte que deux femmes) car le journal se lit aussi en cabinet de lecture. La liste nominative des 100 premiers souscripteurs montre que la majorité appartient à la noblesse de robe et aux commerçants.
Le journal réserve une large place aux informations locales et au feuilleton, mais les nouvelles de France et du monde ne sont pas négligées. La dernière page comporte des annonces publicitaires. Celles-ci révèlent des aspects de la vie de nos ancêtres, sans le filtre de l’opinion du rédacteur, ce qui rend les informations d’autant plus précieuses. Les annonceurs sont non seulement des grandes dynasties industrielles, mais aussi des commerçants aixois.
A l’époque, on pratique déjà le marketing, témoin cette publicité (1868) pour l’abonnement à la revue « L’Echo universel » : le cadeau est un baromètre. Les commerçants aixois ne sont pas en reste. A l’occasion des fêtes de fin d’année, un confiseur fait installer un éclairage expérimental de sa boutique : au gaz en 1837, à l’électricité en 1852. Il devance chaque fois l’arrivée de ce type d’éclairage dans la ville.
En 1848, le rédacteur du « Mémorial d’Aix » met à profit les quelques mois de liberté totale de la presse pour écrire : « Nous votons de cœur et d'âme pour le général Cavaignac » et, après le vote, pour se glorifier de faire partie des vaincus. Mais cet épisode passé, il se montrera politiquement très prudent vis à vis de l’Empire. Jusqu’à la loi sur la liberté de la presse (29 juillet 1881), tous les régimes vont chercher à mettre les journaux sous tutelle. Alors, prudent dès l’origine, « Le Mémorial d’Aix » indique qu’il « veut rester étranger aux discussions politiques » et que son but est « de favoriser les développements intellectuels, matériels et moraux ».
C’est ainsi que, dès 1838, avec ardeur et opiniâtreté, « Le Mémorial d’Aix », se fait l’écho des polémiques sur le chemin de fer. Le train en provenance de Rognac arrive enfin à Aix en 1856, dans cette gare située en contrebas de l’esplanade de la Rotonde (à l’endroit annoncé par le journal… 18 ans plus tôt).
Sans être un journal sportif, « Le Mémorial d’Aix » rend compte des activités physiques : leçons d’équitation pour les dames de la bonne société et concours de lutte au Cirque, natation aux bains Sextius équipés d’une piscine avec maître-nageur (réservée aux dames le mercredi uniquement).
La vie culturelle donne lieu à de nombreux développements : la venue de Liszt pour des concerts à Marseille, puis à Aix (1844-45) a inspiré des articles dithyrambiques sur la « rock star » de l’époque.
Les femmes ont accès au « Mémorial d’Aix ». Elles lisent le feuilleton. Elles sont (aussi) visées par les articles et les publicités portant sur l’hygiène et la mode des crinolines. Les retombées économiques positives de la fabrication des fameuses cages métalliques sur la production de l’acier en France n’échappent pas au chroniqueur. Celui-ci se montre parfois progressiste quand il rend compte en 1858 d’une réflexion « pour élever le salaire des femmes à l'égal de celui des hommes lorsqu'il y a égalité de services ou de travail » et quand il annonce en 1869 la première femme docteur en médecine.
Pour fonctionner, un journal de la dimension du « Mémorial d’Aix » ne nécessite qu’un rédacteur en chef (ici le propriétaire-imprimeur) et un ou deux collaborateurs (plus ou moins bénévoles, car la profession de journaliste n’existe pas encore).
Dans ses pages, on peut repérer deux sortes de tons : un ton sérieux pour l’éditorial et les articles factuels, et un ton plus léger pour les autres (l’un des rédacteurs excelle dans la critique humoristique). Le félibre Jean-Baptiste Gaut, futur conservateur de la Bibliothèque Méjanes et chroniqueur habituel, est un virtuose de la citation latine ou grecque. Ce littéraire est fasciné par la révolution industrielle : la machine à vapeur, le télégraphe électrique, les eaux du barrage Zola ou l’arrivée du chemin de fer à Aix lui inspirent des centaines d’alexandrins.
Le style du « Mémorial d’Aix » est du genre balzacien, très descriptif. Quand on y lit le récit de l’incendie de nuit de l’huilerie installée près de la gare (en 1863) on « voit » le film de la scène : le poids des mots remplace le choc des photos.
Durant la période 1837-1870, la vie des Français en général, et celle des Aixois en particulier, va être plus ou moins rapidement transformée. Et le journal rend compte d’une double révolution, technologique et sociologique.
Il est fascinant de constater que nombre des thèmes abordés dans les pages du « Mémorial d’Aix » restent d’actualité. Si les chroniqueurs fondateurs revenaient parmi nous, ils ne seraient guère dépaysés.